Tu sauras vite que je ne suis pas chaton || Ft. Kayl

Quartz sentait l'air froid traverser le buisson sous lequel il s'était assoupi. Pas la tanière des apprentis, juste un buisson comme ça, épineux, broussailleux, et le mâle s'était endormi dessous à cause de la fatigue. Faut dire qu'il avait pas lésiné sur ses entraînements ces derniers temps. Il avait forcé, et il était le seul chaton de son âge alors les autres, plus âgés, étaient plus grands et plus forts.

Mais le jeune mâle sentait des échardes s'incruster dans sa fourrure fine, et il avait froid. Ses yeux filtraient mal la lumière, qui passait à travers ses paupières closes. Plongé dans un rêve de sang, de pouvoir et de meurtres, il eut du mal à s'en détacher pour retourner à la réalité.

La réalité était trop différente. Il ne tuerait pas aujourd'hui sans doute. Il ne tuerait pas demain non plus. Un jour, mais pas tout de suite. Et cette longue attente le frustrait, cette longue attente le consumait lentement. Mais il attendrait, car pendant ce temps il s'améliorait. Il se battait avec toute sa force et sa détermination, et contre les plus forts, contre les adultes, et il ramassait des coups mais il s'améliorait.

Quartz sortit de sous le buisson en se traînant lamentablement. Les ronces qui s'accrochaient dans son pelage blanc s'enfonçaient dans sa chair. Lui déchiraient sa belle robe immaculée. Mais il s'en fichait, et il se retrouva dans le camp, avec les autres félins, et au loin il aperçut son meneur et mentor. Quartz fit sa toilette, c'était inutile mais il la faisait toujours avant de partir. Le goût du sang, lorsque sa langue passa sur les petites coupures, éveilla ses sens.

La folie embrasa les prunelles de Quartz. Alors il voulut tuer, et la petite voix dans sa tête, féminine, lui criait de se calmer tandis qu'une autre le poussait à commettre le crime. La tête au bord de l'explosion, Quartz savait qu'il devait partir. Sortir loin. Car il tuerait sinon, et il ne voulait pas tuer les membres de son Clan. Froid et distant, il n'avait pas réellement d'amis. Mais il avait besoin d'eux pour le moment.

La respiration saccadée, haletante, le chaton blanc sortit en courant, glissant et dérapant, dans la forêt. Tout tournait autour de lui, et lorsqu'une patte avant se tordit, il se laissa tomber au sol violemment. Le pelage ébouriffé, il resta au sol un moment le temps de se calmer. Mais il ne se calmait pas. Il se résolut à faire une chose qu'il avait déjà faite, quelque chose de malsain pour lui, quelque chose qui protégerait les autres de sa folie meurtrière.

Il se releva, plus calme, avec cette expression de souffrance sur le visage. Dans ses grands yeux bleus. Sa patte se leva à hauteur de sa gueule. Il la prit délicatement, comme une mère aurait pris son chaton, dans sa gueule et s'apprêta à serrer. À faire couler le sang, son propre sang. Se faire du bien en se déchirant. Soulager sa conscience en se découpant la peau. Et il serra lentement. Et puis il entendit un bruit.

Le cœur battant, il reposa son coussinet meurtri au sol. Il avait le poil sale et désordonné, cette expression de folie, la queue battante. Si quelqu'un lui cherchait la merde, il allait souffrir. Et un chat se découpa devant lui. Peu imposant. Ölüm. Son chef. Quartz s'inclina respectueusement, il savait qu'il allait pouvoir s'entraîner.

— Bonjour.

Il ne sourit pas, banda simplement ses muscles. Il était prêt.

Le sang. Un mot de quatre lettres. Un liquide essentiel à la vie. Le sang. Parfois craint, parfois dégoûté et parfois recherché. Liquide qui apporte inlassablement divers réactions. Le sang qui était quelque chose de bien important, et ici, un liquide recherché. Parce que deux chats présents, ces deux chats de la même taille. Ils aimaient le sang. Ils aimaient que le sang coule. Ils voulaient le faire couler. Deux chats du Clan du Sang. Un Clan qui portait le nom de cette substance qu’ils aimaient. Quel bel endroit pour eux. Et maintenant, le plus petit, mais avant tout le plus âgé et le meneur, se tenait devant l’autre, un peu plus grand et plus imposant. Il venait d’arriver derrière l’apprenti, le meneur.

Et son apprenti se retourna. Prêt. Tout était parfaitement parfait aux yeux du chat noir, complètement noir. Son fils et son apprenti. Il était son fils, mais son apprenti. Fils d’une chatte qu’Ölüm n’avait pas aimé. Ölüm n’aimait pas beaucoup. En fait, ce meneur n’aimait personne. Il avait perdu cette faculté au cours de ses dernières lunes. Fin’, il n’avait jamais réellement su aimé, après tout. Et il n’aimerait sans doute jamais. Il regarda son fils. Il se demandait bien ce qu’il allait faire. Il se demandait bien quel était son entraînement, du moins, celui qu’il allait lui donner présentement. Il ne savait vraiment pas. Mais ce n'était pas ce qui le dérangeait, ne pas savoir. Il pouvait attendre là, devant Quartz, longuement, seulement, ce dernier le supporterait-il?

Le meneur sourit doucement, il n'avait pas envie de lui apprendre encore à se battre, pour la simple et unique raison qu'il ne souhaitait pas devoir faire attention pour ne pas trop l'amoché, puisque, après tout, il avait trouvé le moyen de renforcer ses griffes par des crocs de chien. Ölüm ne souhaitait pas devoir prêter attention afin de ne pas faire un mauvais mouvement et l'étriper, même s'il ne pleurerait point sa perte. Insensible? Certes, mais cela protégeait en même temps, ne pas ressentir. Ainsi, le meneur du Clan du Sang ne pouvait être déçu. Il ne ressentait que la colère et la frustration de ne pas voir le monde lui appartenir. Le petit mâle complètement noir aurait aimé voir le monde sous son règne et se promit même que cela arriverait un jour.

Son regard bleu se posa sur le novice qui attendait de savoir ce qu'ils allaient faire et de nouveau, un sourire cruel apparu sur les babines du meneur qui projetait un entraînement bien différent de ce que son fils aurait pu s'attendre. Il était comme ça également, à sortir des sentiers battus, quand il s'agissait d'entraîner. Le mâle s'étira chacun membre consciencieusement pour ne pas se froisser un seul muscle : quel gâchis cela aurait été de se blesser alors qu'il devait être au summum de sa forme pour faire entrer la forêt dans une ère sanglante !  Un petit rire moqueur s'échappa de ses lèvres à cet instant précis, mais il ne prit pas la peine d'expliquer pourquoi il avait rit légèrement à son fils. Il inclina la tête, sans avoir pris la parole encore et huma l'air.

Tout allait bien. Tout était parfait. Un solitaire venait dans leurs terres depuis quelques jours et le meneur avait décidé de le laisser faire...de le prendre en filature. D'observer la façon dont il venait, dont il repartait. D'observer quand il venait, à quel moment de la journée, de mémoriser son trajet. Et comme tout cela coïncidait, comme tout cela s'enchaînait et que le solitaire était venu comme prévu à une longueur de queue de renard d'eux, le petit chat se dit que c'était le moment de voir comment le novice se débrouillait. Un pâle sourire encore plus cruel flotta sur son visage quand son regard étincelant plongea dans celui de son fils.

 - Sens. Mais reste discret. Que sens-tu?

Ölüm savait que le solitaire était imprudent et qu'il allait rester encore quelques heures. Comme chaque fois. Comme chaque jour. Seulement, le chef du Clan avait ordonné à ses guerriers de ne pas le chasser et de le traiter de la façon la plus polie qui soit. Tout était calculé pour cet entraînement-ci, bien qu'il ne savait pas lorsque l'entraînement aurait eu lieu. Il voulait simplement garder le solitaire pour un moment plus propice. Et la voix du meneur s'était fait murmure, pour ne pas que le chat étranger les remarque.

Quartz observe son mentor, les yeux dans les yeux. Aucune lueur de défi, juste le vide, le néant total qui se reflète dans ses yeux bleus. Quartz a été interrompu, et tant mieux en fait. Il aurait fait une belle connerie sinon. Irréversible en plus. Alors il se contente de poser son regard calme sur celui de son Chef, et il sent sur sa patte les picotements, qui s'estompent peu à peu.

Alors il regarde dans ses yeux, qu'il a hérités de son père ; les mêmes yeux bleus glacés qui ne reflètent aucun sentiment, rien que de la froideur et de la haine. La haine envers ce monde cruel, envers tous ces chats qui leur sont inférieurs. Le même désir de vaincre, d'être le plus puissant, d'être leur Chef à tous. Mais Olüm est déjà Chef. Et Quartz veut le dépasser.

Pour cela il devra tout donner, son père et mentor voudra sans doute le mettre au défi de survivre à cet entraînement si épuisant. Mais il sait qu'il essayera de survivre. Et un jour il deviendrait guerrier, et il sait aussi qu'il aurait toujours à apprendre des plus âgés. Il apprendra encore de nombreuses lunes après son baptême, jusqu'à ce qu'il soit le plus fort. Il surpassera même son père.

Puis l'un ou l'autre détourne le regard. Alors le meneur cruel sourit, comme s'il a une idée en tête. Et il commence à s'étirer les pattes. L'entraînement débutera bientôt. Une lueur étrange brille dans les prunelles des deux chats. Olüm sait ce qu'il va faire, tout est projeté à l'avance. Il sait quel entraînement, quel ordre il donnerait à Quartz. Et le chaton obéira aux règles de ce jeu cruel, un jeu contre nature, un jeu meurtrier et sanglant...

Quartz attend. Sa respiration est calme, bien plus calme que tout à l'heure. Pourtant son envie est toujours présente, cette folle envie de tuer... Alors son père, ce chat au pelage ébène si différent de celui de son fils, murmure dans le vent :

— Sens. Mais reste discret. Que sens-tu?

Alors Quartz sent. Il hume l'air, cet air impur. Et il remarque l'odeur, celle qu'il a déjà sentie un jour, plus tôt. Il ne sait plus quand exactement, mais c'était un jour où il voulait être au calme. Alors il n'avait pas pisté l'odeur, il s'en fichait. Et aujourd'hui c'est la même. Ses pupilles ne sont plus que deux traits dans ses yeux, il a la gueule entrouverte, les crocs saillants.

— Je sens un chat. Un intrus.

Est-ce qu'il allait le chasser ? Si Olüm lui demandait, alors Quartz le prendrait en chasse. Mais il le tuerait sans doute, sans le vouloir. Il veut tuer aujourd'hui. Et si Olüm lui dit de ne pas le tuer, il ne lui obéirait peut-être pas. Quartz aime faire ce qu'il veut, même s'il doit obéir à son chef. Pour l'honneur, pour ne pas être banni ou pire, tué.

Ses muscles se bandent. Il est excité, il n'attend qu'une chose. Un seul mot de son mentor. Tout son être est impatient, ses vibrisses localisent l'étranger facilement. Il est juste là, tout près... Mais plus pour longtemps. Quartz a sorti les griffes, depuis un moment déjà. Il attend alors, les prunelles embrasées, tendu. Olüm doit donner le départ.